Depuis la nuit des temps, partout dans le monde, les hommes et les femmes dansent. Acte cérémoniel, créateur de lien social, expression d’un contexte social, politique ou artistique… la danse et la multiplicité de ses pratiques ont traversé l’histoire. Au fil des siècles, elle est même devenue un curseur pour chaque époque, et les danseurs et les danseuses des passeurs de mémoire.
Que raconte un corps qui danse sur lui-même et le monde qui l’entoure ? Que signifie danser au sein d’une des plus grandes institutions au monde d’une discipline classique multi centenaire lorsque l’on a la peau noire ?
Il suffit de regarder Guillaume Diop se mouvoir sur scène pour saisir quelques éléments de réponse. Ce jeune prodige, au parcours fulgurant, commence la danse classique dès l’âge de 4 ans avant d’intégrer l’école de danse de l’Opéra quelques années plus tard. Une fois adulte, il interprète plusieurs grands chefs d’œuvres classiques comme Roméo & Juliette ou Le Lac des cygnes. En 2023, à seulement 23 ans, il est nommé danseur étoile du ballet de l’Opéra national de Paris, devenant ainsi le premier danseur noir à porter ce titre prestigieux.
Le jeune danseur confie au Monde : « Je ne me projetais pas comme danseur. Mes parents non plus, qui pensaient qu’un garçon métis n’avait pas sa place à l’Opéra. » Au sein d’une institution où la question de la diversité a eu du mal à se faire une place, il coécrit en 2020 un manifeste destiné à ouvrir le débat sur l’absence de diversité et de représentation dans le monde du ballet, dans la lignée du mouvement #BlackLivesMatter.
Le corps de Guillaume Diop incarne une autre voie, pour celles et ceux dont la couleur de peau leur a été constamment renvoyée au visage et les a empêchés d’intégrer les plus grands ballets. Il fait bouger des frontières, des lignes que beaucoup pensaient immuables ou ne souhaitaient tout simplement pas voir bouger. Son corps ouvre les portes de nouveaux imaginaires. Il fait changer le regard du public en l’éloignant de certains stéréotypes tenaces, dans un contexte occidental où, ce qui n’est pas blanc, est considéré comme « autre » – et sûrement davantage dans la danse classique où une forte attention est portée au modelage du corps et à son aspect. Tantôt animalisées – les mots comme « tigresse », « lionne » ou « panthère » pour désigner les corps des femmes noires sont des exemples frappants – tantôt fétichisées, vues comme un exotisme – on pense à Joséphine Baker et à sa Revue nègre » –, les personnes noires et leur corps en mouvement sont également trop souvent assimilés à des pratiques artistiques moins valorisées et considérées. On pense notamment au hip-hop ou à la scène ballroom, deux mouvements culturels qui sont nés dans les années 80 au sein des communautés noires, en réaction à l’exclusion de leur corps des espaces institutionnels classiques […]