Disparaître est un droit

Pourquoi tout quitter du jour au lendemain ? Faire table rase, ne pas laisser de traces, ne pas donner signe de vie… Chacun d’entre nous a un jour été traversé par cette envie un peu folle : repartir de zéro. Chaque année, ils seraient entre 5 et 10 000 à le faire. Quitter le foyer sans laisser d’adresse. Ces disparitions, les enquêteurs les qualifient de « volontaires » et « non inquiétantes ». Car ce qui est un abandon pour ceux qui restent est une liberté pour celle ou celui qui part. Que doit-on à sa famille lorsqu’on la quitte ? Récit.

Ceux qui s’évaporent

C’est un voyage organisé qui s’arrête à Ajaccio. Hubert Boiron, 82 ans, fête ses noces d’or avec sa femme. Dans la file qui se dirige vers le bus, elle réalise soudain qu’il n’est plus là. Évaporé. Le dernier signalement d’Hubert Boiron sera celui d’une salariée de la compagnie maritime SNCM, elle l’a empêché de monter à bord du Danielle Casanova. Il avait l’air étourdi et n’avait pas de billet. Quand je découvre cette histoire racontée par l’écrivain Philippe Jaenada dans la revue Zadig, je me dis qu’Hubert Boiron s’est fait la malle. Il a pris le ferry pour l’Algérie ou la Tunisie. Il a entendu cette « petite voix » dont parlent certains disparus volontaires, celle qui dicte les mouvements brusques.

Il y a dans les disparitions volontaires une grande part de romanesque. Il faut accueillir cette part et, très vite, la poser loin de soi. Car la réalité est triviale : les disparitions volontaires et non inquiétantes n’ont pas le décor des voyages organisés. Peu d’études sérieuses existent, mais certaines études de cas éclairent cette réalité. La journaliste Patricia Fagué recense des situations dans son livre Disparus sans laisser d’adresse (de l’Opportun, 2017) : les départs de femmes interviennent souvent dans des contextes de violences conjugales, les hommes qui partent sont généralement en échec personnel ou professionnel.

Au Japon, où les disparus volontaires sont estimés chaque année à 100 000 personnes, la honte sociale et professionnelle est généralement l’élément déclencheur. Le phénomène se serait d’ailleurs accentué dans les années 90 avec la première crise immobilière, puis en 2008. Ces Johatsu (蒸発, littéralement « évaporation ») font le choix d’une mort sociale et poursuivent leur vie sous un faux nom. On trouverait des guides dans les librairies pour apprendre à s’évaporer.

En France, pas de guide, mais une formule qu’on agite : « Le droit à disparaître ». Qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce une permission ? Une invitation ?

Le droit à disparaître : protéger l’absent

« En France, un majeur est libre d’aller et venir comme il l’entend, sans nécessairement en informer ses proches. Disparaître n’est pas une infraction pénale », rappelle l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP).

Derrière ce « droit à la disparition », des références à différents droits : la liberté fondamentale de chacun d’aller et venir – elle induit notamment qu’un disparu ne peut être poursuivi du seul fait de sa disparition. Le droit à l’anonymat – il garantit au disparu que les services de police ne communiqueront pas à son insu sa localisation. Surtout, ce que le droit à la disparition dit en creux, c’est que disparaître n’est pas mourir ; c’est être absent. Et même absent, un Homme a des droits.

L’absence apparaît pour la première fois dans le Code civil de 1804. Elle a l’empreinte du droit romain, avec la notion de « présomption centenaire ». Elle signifie que toute personne absente, mais dont la mort n’est pas constatée, est présumée en vie jusqu’à l’âge de 100 ans.

Les rédacteurs de ce Code civil étaient particulièrement sensibles à la protection des absents, en particulier à la protection de leur patrimoine, le premier texte assurant la pérennité de sa propriété jusqu’à leur retour.

Au fil du temps, ce droit a évolué pour mieux protéger la famille, on peut imaginer l’impasse dans lequel se trouvaient certaines conjointes ou certains descendants. Aujourd’hui, sur décision d’un juge, il est possible d’obtenir une présomption d’absence et dix ans plus tard une déclaration d’absence. Elle applique alors à l’absent les mêmes conditions qu’un décès : son patrimoine est légué, ses droits de tutelle sont transférés. Quand l’absent réapparaît, tout revient en place, exception faite à la dissolution du mariage, sur laquelle personne ne peut revenir.

Par Iman Ahmed

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PEUT-ON CHOISIR SA FAMILLE ?

MANIFESTE RESPECT

Respect : n. m. (latin respectus)

  • Sentiment de considération envers quelqu’un, et qui porte à le traiter avec des égards particuliers ; manifestations de ces égards ; Manquer de respect à quelqu’un.
  • Considération que l’on a pour certaines choses ; Le respect de la parole donnée.

Source : Larousse.fr 

Étymologiquement, le respect est le fait de se retourner pour regarder ; il implique un effort d’attention vers autrui, associé à la reconnaissance d’une dignité égale. En philosophie, Kant est l’un des premiers à avoir défendu cette notion. Pour lui, le respect est avant tout le sentiment de la dignité de la nature humaine : en respectant la dignité des autres, dans toutes leurs différences, nous nous interdisons de les juger. Comprendre le potentiel et la force du respect, c’est reconnaître sans condition la dignité humaine.

Au-delà même de la tolérance qui, elle, n’exclut ni le mépris ni la pitié, le respect lutte et agit en vertu de la dignité humaine et de la bienveillance.

Approcher début 2022 la notion de respect, et donc celle de dignité, conduit à poser un acte d’engagement au cœur de ce moment clé de transition de notre époque.

Alors que le débat démocratique insiste souvent sur l’absence de projet collectif, sur ce qui sépare les « communautés », tout en faisant l’apologie des libertés individuelles au détriment du commun, il semble indispensable de poser en valeurs cardinales le respect et la dignité, sous toutes leurs formes, à commencer par le respect de la différence.

Appuyé sur une histoire forte et exigeante, le nouveau magazine respect porte haut les couleurs du respect des autres, de la différence, de toutes et tous, c’est-à-dire de la différence en termes d’âge, de genre ou de sexe, d’orientation sexuelle, de handicap, de croyances, d’opinions, d’origine sociale, culturelle, économique…

Et dans la continuité de cet axe fondamental, le respect s’étend à tout ce qui nous entoure, à l’ensemble des sujets du temps présent au cœur desquels s’inscrit l’engagement, sous toutes ses formes.

Il s’agit ainsi :

  • Du respect des autres
  • Du respect de la différence
  • Du respect de l’environnement
  • Du respect du débat démocratique
  • Du respect des enjeux sociaux
  • Du respect des territoires

Du respect de l’entreprenariat lorsqu’il est sincèrement orienté vers son impact sur l’humain et sur la planète.

Le magazine respect s’incarne par des visages, des mouvements, des aspirations et prend la parole en la donnant à des voix uniques, singulières et collectives, rassemblées à travers des récits, des manifestes, des exclamations.

Être différent n’est ni une bonne ni une mauvaise chose. Cela signifie simplement que vous êtes suffisamment courageux pour être vous-même. (Albert Camus)

En France, le respect de la dignité humaine a été érigé en principe à valeur constitutionnelle par la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994.

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