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Peut-on encore croire en la bonté humaine ?

L’homme est un loup pour l’homme… Vraiment ? L’empathie est-elle innée chez lui ou s’acquiert-elle avec le temps ? Nous avons posé ces questions à Jacques Lecomte, docteur en psychologie et président d’honneur de l’Association française et francophone de psychologie positive.

Auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet – dont La bonté humaine ; altruisme, empathie, générosité, publié en 2010 (Éditions Odile Jacob) –, Jacques Lecomte est convaincu, études à l’appui, que l’être humain est doté d’une aptitude naturelle à l’empathie et à l’altruisme. Afin de rendre notre société plus résiliente et davantage solidaire, il prône une autre vision anthropologique de l’être humain, plus positive. Car, selon lui, il n’y a pas que des mauvaises nouvelles dans la vie, l’humain ne fait pas que des mauvaises choses, il y a aussi des histoires de vie, des expériences qui nous font avancer vers plus de solidarité, vers plus d’humanité. Entretien.

Qu’est-ce que la solidarité et comment se manifeste-telle concrètement chez l’être humain ?
Au cours de mes travaux, je me suis beaucoup intéressé à la bonté humaine, qui a un impact direct sur la solidarité et qui suit un cheminement similaire. Je distingue trois facettes complémentaires : la facette cognitive qui est la bienveillance, l’émotionnelle qui est l’empathie et la comportementale qui est l’altruisme. Ainsi, la bonté humaine est le fruit d’un regard bienveillant posé sur autrui, d’une sensibilité à capter ses émotions, en particulier dans les moments de souffrance, et se manifeste par des actes et des comportements en sa faveur.

C’est donc ce cheminement qui entraîne tout homme dans des élans de solidarité…
Effectivement… Je préfère le mot « fraternité », qui est quelque chose d’inhérent à la nature humaine. Quand cette fraternité se concrétise sur le plan politique, on parle souvent de solidarité ou parfois de solidarisme. Cette solidarité « politique » se fonde sur la faculté chez l’être humain à se mettre au service des autres, à être bienveillants, au nom de l’État, bien souvent. Ce qui a évidemment des facettes très positives, mais qui a aussi parfois tendance, malheureusement, à réduire les fraternités spontanées… Par ailleurs, depuis une dizaine d’années se développe une nouvelle philosophie politique, le convivialisme, qui me semble très pertinente. Une idée centrale est que nous sommes des êtres interdépendants et, par voie de conséquence, qu’une société fondée sur la coopération et la bienveillance est possible, et même serait bénéfique pour l’humanité, car correspondant à ses aspirations profondes.

La générosité, la bienveillance, l’altruisme font partie de ces activités qui génèrent de la satisfaction pour l’être humain.

Les aptitudes à la bienveillance, à l’empathie, à l’altruisme sont-elles innées chez l’humain ?
L’être humain est biologiquement prédisposé à la bonté. Je ne dis pas qu’il est programmé ou prédestiné, mais il y a, en tout être humain, une capacité biologique à l’empathie, à l’altruisme, à la coopération, qui est plus profondément enracinée que ses tendances à l’égoïsme et la violence.

Vraiment ?
Oui, nous avons une capacité spontanée à l’empathie, et cette capacité est présente toute la vie. De nombreuses disciplines scientifiques ont permis de l’établir. En neurobiologie, par exemple, il y a eu de nombreuses études sur les neurones miroirs, ces neurones qui s’activent lorsqu’un individu exécute, observe ou s’imagine l’action d’un autre individu. Par exemple, si une personne tombe devant vous, ces neurones vont s’activer en voyant sa souffrance. Pour Giacomo Rizzolatti, chercheur de l’université de Parme, ces neurones sont le fondement biologique de l’empathie. Nous avons aussi des zones de satisfaction, ou des zones de la récompense, dans notre cerveau. Elles s’activent lorsque nous effectuons une activité qui nous est particulièrement agréable. Et la générosité, la bienveillance, l’altruisme font partie de ces activités qui génèrent de la satisfaction pour l’être humain.

Dans La bonté humaine (son livre publié en 2010 aux éditions Odile Jacob, ndlr), je raconte qu’une équipe de neurobiologistes coréens a montré que, lorsque quelqu’un a des pensées de compassion envers une personne triste, cela stimule le système mésolimbique, zone cérébrale qui incite à entrer en contact avec autrui et qui fait partie du système de récompense. Les auteurs en concluent que le bonheur dépend probablement plus de notre attitude que d’éléments extérieurs.

La solidarité et l’entraide sont naturelles chez l’humain, mais notre espèce a si bien réussi qu’elle s’est créé un confort de vie individuel qui lui fait parfois oublier les solidarités spontanées.

À partir de quel âge cette capacité à l’empathie peut-elle se manifester chez l’humain ?
Dès le plus jeune âge et plusieurs expériences peuvent en témoigner. Par exemple, en psychologie du développement de l’enfant, deux chercheurs de l’université de Leipzig, Michael Tomasello et Felix Warneken, ont étudié l’empathie chez des bébés âgés d’environ 14 mois. L’expérience consistait à les mettre individuellement dans une pièce avec un homme les bras chargés de cartons. Cet homme, qui leur était étranger, se tenait devant un placard de rangement, mais ne pouvait bien évidemment pas l’ouvrir étant donné qu’il était encombré de cartons. La plupart des bébés ont alors décidé, de leur plein gré, de se diriger vers l’homme pour ouvrir le placard, sans stimulation au départ, ni récompense à la fin.

Cette expérience remet en cause la vision qu’on a longtemps eue du bébé, qui naîtrait avec des pulsions égoïstes et violentes, et dont l’éducation sociale consisterait à le détourner de ces pulsions… À la suite de leurs recherches, Michael Tomasello et Felix Warneken proposent de prendre les choses à l’envers : s’appuyer sur la capacité spontanée à l’empathie et à l’entraide des bébés comme socle de leur éducation.

Si cette capacité spontanée à l’empathie est présente en nous, et toute notre vie, pourquoi la solidarité n’est elle pas toujours le premier réflexe que nous adoptons lorsque nous sommes en position d’aider ?
La solidarité et l’entraide sont naturelles chez l’humain, mais notre espèce a si bien réussi qu’elle s’est créé un confort de vie individuel qui lui fait parfois oublier les solidarités spontanées. On y gagne d’un côté ce qu’on y perd de l’autre. Il faudrait arriver à maintenir à la fois un certain niveau de vie tout en n’oubliant pas la fraternité. Et puis, il y a aussi ce qu’on appelle la coopération conditionnelle, qui nous pousse à coopérer si l’autre coopère. Ce n’est pas inhérent à l’être humain, mais on le voit notamment sur des sujets touchant à la morale fiscale ou aux comportements pro-environnementaux : « Je veux bien payer mes impôts à condition que tout le monde les paye. Je suis prêt à trier mes déchets si tout le monde les trie ».

À l’époque des Lumières, par exemple, la qualité première de l’être humain était l’empathie.

Est-ce différent quand l’homme se sent menacé ?
Lorsqu’il y a des grandes catastrophes naturelles, où il est question de vie ou de mort, oui il y a de la solidarité spontanée, souvent au péril de ceux qui la mettent en œuvre. On est très loin des films catastrophe ou de certains médias qui véhiculent une image égoïste de l’être humain, ne pensant qu’à sauver sa peau au détriment des autres. La réalité est tout autre, les études nous montrent que l’altruisme est présent dans ces cas-là. Après le passage de l’ouragan Katrina, en Louisiane, les médias nous ont montré des images de pillages, ont relaté des faits de violence et de viols un peu partout à la Nouvelle-Orléans. En réalité, ils n’avaient pas accès aux évènements car la zone était trop dangereuse et ont répandu de fausses informations.

Ils ont ensuite présenté leurs excuses, mais de façon bien plus brève que pour toutes les fausses informations angoissantes qu’ils avaient diffusées auparavant. Si on répand l’idée que la nature de l’homme est fondamentalement égoïste, on risque de justifier, de ce fait, certains de ses comportements… Il y a une vision anthropologique de l’être humain néfaste qu’il faudrait revoir.

Une autre image de l’être humain nous permettrait-elle de sortir de cette société du chacun pour soi pour nous acheminer vers davantage de solidarité ?
Oui, il faut véhiculer une autre image de l’humain, et ce n’est pas une posture de bisounours que de dire ça. Comme je viens de vous le montrer au travers de plusieurs exemples, ce serait stratégiquement pertinent de le faire. Par ailleurs, nous ne sommes pas dans une société du chacun pour soi, mais dans une société de l’idéologie du chacun pour soi. Cette idéologie n’a pas toujours existé, et on croit que cette norme morale d’égoïsme, qui s’est très nettement développée, est ancrée en nous. Mais à l’époque des Lumières, par exemple, la qualité première de l’être humain était l’empathie.

L’une des principales causes de la réussite de l’humain dans son évolution, outre ses capacités cérébrales, a été sa capacité sociale à fonctionner ensemble.


Le modèle traditionnel de l’école pousse l’élève à devenir le meilleur de sa classe, à réussir seul quelque part. N’y a-t-il pas quelque chose de conflictuel avec la solidarité ?
Vous avez tout à fait raison. Sur l’école, il y a pas mal de choses que l’on pourrait améliorer comme la mise en pratique de l’apprentissage coopératif. L’apprentissage compétitif, qui consiste à dire « je suis meilleur que l’autre », est très dommageable pour la construction de l’être humain. Inversement, on sait aujourd’hui que l’apprentissage coopératif est l’une des premières occasions de faire goûter à un enfant l’apprentissage de la citoyenneté, en s’intéressant aux autres. Il y a des dizaines d’études qui convergent pour dire que ce type d’apprentissage favorise le respect d’autrui, l’aide à autrui, le respect des enseignants, le bien-être des élèves et améliore les résultats scolaires, notamment chez les élèves en difficulté.

C’est un peu comme dans le sport. Il y a deux façons de s’entraîner pour un athlète. Il y a une méthode d’entraînement pour s’améliorer et une autre pour être meilleur que les autres. Ce sont deux sources de motivation complètement différentes. Sur le plan psychologique comme sur le plan neuropsychologique, notamment en matière de production de dopamine, la motivation, pour s’améliorer, produit du bien-être, à l’inverse de l’autre méthode qui génère une frustration permanente.

Selon vous, l’humanité pourrait-elle survivre sans solidarité ?
L’une des principales causes de la réussite de l’humain dans son évolution, outre ses capacités cérébrales, a été sa capacité sociale à fonctionner ensemble. L’être humain est fondamentalement un être de relation. Arrêtons de nous raconter que nous sommes des êtres indépendants. Nous naissons dans la dépendance, nous mourrons dans la dépendance et entre-temps, nous vivons dans l’interdépendance.

MANIFESTE RESPECT

Respect : n. m. (latin respectus)

  • Sentiment de considération envers quelqu’un, et qui porte à le traiter avec des égards particuliers ; manifestations de ces égards ; Manquer de respect à quelqu’un.
  • Considération que l’on a pour certaines choses ; Le respect de la parole donnée.

Source : Larousse.fr 

Étymologiquement, le respect est le fait de se retourner pour regarder ; il implique un effort d’attention vers autrui, associé à la reconnaissance d’une dignité égale. En philosophie, Kant est l’un des premiers à avoir défendu cette notion. Pour lui, le respect est avant tout le sentiment de la dignité de la nature humaine : en respectant la dignité des autres, dans toutes leurs différences, nous nous interdisons de les juger. Comprendre le potentiel et la force du respect, c’est reconnaître sans condition la dignité humaine.

Au-delà même de la tolérance qui, elle, n’exclut ni le mépris ni la pitié, le respect lutte et agit en vertu de la dignité humaine et de la bienveillance.

Approcher début 2022 la notion de respect, et donc celle de dignité, conduit à poser un acte d’engagement au cœur de ce moment clé de transition de notre époque.

Alors que le débat démocratique insiste souvent sur l’absence de projet collectif, sur ce qui sépare les « communautés », tout en faisant l’apologie des libertés individuelles au détriment du commun, il semble indispensable de poser en valeurs cardinales le respect et la dignité, sous toutes leurs formes, à commencer par le respect de la différence.

Appuyé sur une histoire forte et exigeante, le nouveau magazine respect porte haut les couleurs du respect des autres, de la différence, de toutes et tous, c’est-à-dire de la différence en termes d’âge, de genre ou de sexe, d’orientation sexuelle, de handicap, de croyances, d’opinions, d’origine sociale, culturelle, économique…

Et dans la continuité de cet axe fondamental, le respect s’étend à tout ce qui nous entoure, à l’ensemble des sujets du temps présent au cœur desquels s’inscrit l’engagement, sous toutes ses formes.

Il s’agit ainsi :

  • Du respect des autres
  • Du respect de la différence
  • Du respect de l’environnement
  • Du respect du débat démocratique
  • Du respect des enjeux sociaux
  • Du respect des territoires

Du respect de l’entreprenariat lorsqu’il est sincèrement orienté vers son impact sur l’humain et sur la planète.

Le magazine respect s’incarne par des visages, des mouvements, des aspirations et prend la parole en la donnant à des voix uniques, singulières et collectives, rassemblées à travers des récits, des manifestes, des exclamations.

Être différent n’est ni une bonne ni une mauvaise chose. Cela signifie simplement que vous êtes suffisamment courageux pour être vous-même. (Albert Camus)

En France, le respect de la dignité humaine a été érigé en principe à valeur constitutionnelle par la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994.

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